Je me rendais ce week-end à Epinal, en terres ennemies donc, pour y rencontrer un mien camarade indépendantiste, funestement égaré en ces contrées inhospitalières par l'absurdité de la décentralisation française. J'ai déjà eu l'occasion de déplorer plusieurs fois la mort du Téméraire, je me permets de revenir sur ce despérant évènement de notre Histoire. En 1475, Charles, fidèle à sa fougue, envahit la Lorraine, comme qui dirait en deux temps trois mouvements, tant la faiblesse de ses ennemis opposent peu de résistance au rouleau-compresseur de son impétuosité. Le 24 novembre 1475, l'affaire est dans le sac, le Grand Duché de Bourgogne parvient enfin à s'unifier, l'Univers tout entier retient son souffle, il ne reste plus désormais que l'accord du pape pour que le monde se dote du plus formidable pays qu'il ait jamais connu. Mais Charles a l'esprit trop élevé pour soupçonner les lamentables turpitudes de ses adversaires. Le duc de Lorraine, comme le cafard qui refuserait d'admettre son infériorié sur le guépard, rompt sa parole (trahison, arme éternelle des faibles) et s'allie avec Louis XI et les Suisses pour reprendre son territoire (illégitimement d'ailleurs, Charles ayant été sacré duc de Lorraine et ayant poussé sa magnanimité jusqu'à faire de Nancy sa capitale). Essuyant quelques défaites, toutes relatives d'ailleurs, le Téméraire doit se retirer. Il revient en force ensuite pour mettre le siège devant Nancy, mais il est trahi par ce freluquet sodomite de comte de Campobasso, et, au cours d'une bataille héroïque où il multiplie les faits d'armes, il finit tué lâchement, son corps dévoré par les loups. La Lorraine, aidée par les Suisses, les Français et les Alsaciens (l'alliance des médiocres contre la grandeur), triomphe. Elle obtient son indépendance, tolérée par ses voisins, sans doute en raison de sa naturelle veulerie. Le duc René mourrut aussi noblement qu'il avait vécu, c'est-à-dire de froid, d'un rhume carabiné. Il laissera le souvenir d'un personnage falot et vélléitaire (il se retira ensuite tour à tour de la guerre folle et de la conquête de Naples, incapable de mener un projet à bien), et les lignes que je perds mon temps à lui consacrer sont déja trop d'honneurs faits à ce pouilleux risible.
Ridicule totem barriolé saluant la lâcheté des LorrainsEn visitant la ville d'Epinal, je m'attendais à trouver néanmoins quelques traces de prétention, ou du moins d'arrogance, chez ceux qui, malgré tout, furent nos vainqueurs. Le spectacle auquel j'assistai fût un des plus déplorables de mon existence. Quel peuple soumis, abattu, résigné, pitoyable ! Le centre ville, limité à trois rues et à une église romane (somme toute assez pesante), se voyait cerné par des rues ternes et sales, piteuses et humbles, terriblement provinciales et sans aucune grandeur d'esprit. La grisaille humide du ciel semblait marqué les visages d'une effroyable médiocrité, et seuls quelques esprits un peu moins insignifiants que les autres, se risquaient à faire quelque peu la fête dans l'unique bar de la ville, qui ferme ses portes à une heure du matin. L'enthousiasme fébrile qui m'anime ordinairement laissa bientôt place à une pâle morosité. En quittant mon ami d'un long baiser langoureux mais néanmoins viril, je sentis mon coeur s'apaisé et au fur et à mesure que le train m'éloignait de cette sinistre région mon esprit s'animait de nouveau, comme réveillée d'une torpeur abrutissante, et enfin je crus fondre de joie en revoyant les élégants cloches dijonnais et l'inaliénable jovialité des Bourguignons. Je songeais alors combien la mort du Téméraire avait fait garder aux Bourguignons l'impérissable regret de leur grandeur et ainsi conservé pour toujours leurs nobles aspirations. A l'inverse les Lorrains s'étaient montré incapables d'être à la hauteur de la victoire, et, de désillusions en désillusions sombrérent dans l'accablement et la morosiré, de sorte que la bataille de Nancy s'avérait finalement être une indéniable victoire morale des Bourguignons portant bien haut leur capacité de s'égayer et de surmonter l'adversité.








Ce samedi 6 octobre à Alésia est venue défiler la légion X, surnommée Legio X Equestris, officiellement parce que César s'en est servie une fois en guise de cavalerie, officieusement parce que ses membres aimaient bien se chevaucher mutuellement selon les moeurs romaines (le fameux coitum equistestris romanum). Votre dévoué serviteur ne pouvait évidemment pas manquer de s'y rendre (après tout il est un peu chez lui là bas, on ne lui a pas dresser une statue pour rien). On pouvait y assister au défilé de troupes romaines, à quelques exercices militaires dans des uniformes rutilants, tandis que de charmantes danseuses échauffaient les esprits et dilataient les entrejambes. Bien sûr un tel programme à de quoi surprendre, il peut apparaître en effet assez cynique de voir les vainqueurs de la guerre parader sur les lieux de leur victoire en présence même des vaincus, bien que l'occupation romaine soit finie depuis déja quelques temps. On sera d'autant plus étonné d'apprendre que ces soldats n'ont pas été accueillis par des insultes ou des jets de pierre, mais par des salves d'applaudissements enthousiastes. En vérité l'explication est très simple, ces soldats étaient venus pour demander une réconciliation (et puis quoi encore ?) et ont, pour marquer l'évènement, apporté une épée romaine. Une plaque commémorative a même été placée sur le site !


