mercredi 30 juin 2010

La tour Jean-sans-Peur

Je me trouvais l'autre jour désoeuvré, errant dans les rues de Paris.
Que faisais-je à Paris ?
Je l'ignore. Sait-on jamais pourquoi l'on se trouve à Paris ? Non ! Si on le savait on ne s'y trouverait pas ! On mettrait les bouts ! Et au plus vite !
Pour vous décrire l'accablement qui m'étreignait alors il me faudrait tremper la plume du désespoir dans l'encre noire de la consternation, mais je n'ai hélas à ma disposition que l'humble clavier de la véracité, et il faudra vous en contenter.
Ah Paris ! Cette ville est si française qu'elle en devient caricaturalement atroce ! Elle sue la France de tous les pores de son ciment ! Le moindre pavé que l'on y foule transpire la franchouillardise la plus éceourante. C'est comme si l'on pataugeait dans un marais remplis de crapauds. Même le quartier chinois parait français, c'est dire s'il est maussade (d'ailleurs ses résidents sont si tristes de vivre en un tel endroit qu'ils en ont le teint ocre et les yeux plissés par l'habitude de la tristesse).
Vous comprendrez que j'étais véritablement au fond du trou quand vous saurez qu'en outre il y faisait une chaleur si torride que mon corps, pour me signifier sa soif d'alcool, crut bon d'expulser hors de lui toute l'eau qui y croupissait (j'ignore du reste comment elle avait pénétré dans mon organisme).
J'étais donc au bord de l'anéantissement physique et moral, quand soudain, comme un phare dans le désert ou plutôt comme un oasis de vinasse au milieu d'un océan aquatique, je vis se dresser devant moi une tour à la beauté éblouissante ! Je manquai de me pincer ! Etait-ce l'air fétide de Paris qui égarait mes sens ? Ou le soleil qui jouait du tam tam sur mon crâne ? Mais non, je ne rêvais pas, j'étais bel et bien en face d'une tour gothique caractéristique de l'architecture bourguignonne du XIII° siècle !

Je m'approchais et la présence d'écusson aux armes de la Bourgogne achevèrent de dissoudre mes derniers doutes, comme l'eau dissout le sucre et l'alcool les cellules hépatiques.
Il s'agissait bien du dernier vestige du palais parisien des grands ducs de Bourgogne !
Je l'avais toujours cru disparu !
Intrigué et fasciné par cette formidable découverte, je me risquai à pénétrer dans ces lieux si richement chargés d'histoire. Je fus saisi d'un frisson en posant mes pieds sur ces dalles augustes qu'avaient foulé les semelles cent fois bénies du grand Jean sans Peur. Tandis que j'admirai les splendeurs de la voûte gothique à souhait, si gothique qu'elle en devenait humiliante pour la misérable architecture baroque, une voix soudain retentit dans ce sublime tas de caillou (la métaphore n'est pas riche, j'en conviens, mais je n'ai que celle là sous la main) :
"- C'est trois euros l'entrée me dit-elle.
_ Les militants de l'indépendance bourguignonne ont-ils droit à une réduction ? m'enquis-je.
_ Non me répondit sèchement la caissière en fourrant dans sa poche les pièces que j'avais déposées sur son comptoir."

Ce que je vis à l'intérieur fût d'une beauté telle qu'elle échapperait à toute description et c'est pourquoi je ne prendrais pas même la peine de vous en décrire le plus chétif ornement.

En revanche je ne saurai vous dissimuler l'émotion qui m'étreignit en découvrant ces marches qu'avait monté avant moi Jean sans Peur, cette salle des gardes où il dut féliciter sa vaillante troupe, cette cheminée devant laquelle les soirs d'hiver il devait réchauffer ses petits petons dijonnais, et ces toilettes, où, ce fameux soir où il franchit triomphalement les murs de Paris accompagné de 5000 archers, il dut, après avoir fastueusement célébré sa victoire, posé une formidable et ducale peau de renard.

Je sortis de cette tour si enthousiasmé par ce que j'y avais vu qu'en sortant, comme pour narguer la sinistre capitale de cet odieux pays que les crétins s'obstinent à appeler la France, je me mis, de joie, à célébrer à ma façon le triomphe des troupes bourguignonnes lors de l'occupation de Paris en criant de façon retentissante "HIP", ce à quoi à j'ajoutai sans plus attendre un second et non moins bruyant "HIP" auquel j'agrégeai immédiatement, au risque de me répéter, un, vous l'avez deviné, troisième "HIP", avant de ponctuer mon bref et triomphal discours par un formidable Hourrah !
Et Vive la Bourgogne Libre !


Même les âmes les plus simples savent apprécier la beauté de cette tour !