lundi 28 septembre 2015

L'arbre blanc de Dijon




Abattons l’arbre blanc !

« La forme d'une ville change plus vite, hélas ! que le cœur d'un mortel. » Charles Baudelaire

L’arbre blanc. La première fois qu’on l’a vu, on s’est tous demandés ce que c’était que cette saloperie qui trônait au beau milieu de la rue de la lib'. On a d’abord cru que c’était un lampadaire, ou bien l’arbre de Noël des grands magasins, dont les branches avaient été sciées. On croyait à quelque exposition, inepte mais temporaire. Puis il a bien fallu se rendre à l’évidence : il était là pour durer, hélas, cet arbre blanc, cet ignoble arbre blanc.

Ce n’est même pas vraiment un arbre d’ailleurs. C’est juste un grand poteau blanc. Un tronc. Un gros tronc blanc, posé en plein milieu du trottoir, comme le font les canidés. C’est une œuvre qui n’a ni forme, ni couleur, ni matière, ni rien. Ce n'est même pas vraiment une œuvre Elle tourne, simplement. Elle tourne en rond, sur elle-même, absurdement, comme un autiste qui bascule sans cesse sur lui-même. 

Qu’est-ce qu’un arbre sans branches, sans feuilles, sans couleur, sans forme, peut bien vouloir exprimer ? La stérilité peut être ? La fadeur ? L’atonie ? On hésite devant toutes ces interprétations. Récemment, un jeune rappeur exalté, qui s'était donné pour mission de célébrer « toute la beauté, la force et la poésie de l’œuvre de Didier Marcel » (sic !), avait décrété que cet arbre blanc illustrait « le cynisme de notre société capitaliste ». L'avantage avec ce genre d'interprétation fumeuse, c'est que ça ne mange pas de pain, puisque personne ne va défendre le cynisme, et parce qu'on peut greffer ce genre de discours sur à peu près n'importe quel objet.
Moi, ce que ça m’évoquerait, c’est plutôt un immense poteau de torture sur lequel on aurait attaché la ville entière, livrée au supplice de son inanité.  


Ce qui rend cet arbre blanc si haïssable, ce n'est pas tellement son insignifiance artistique. Non, l’art contemporain nous y a trop habitués. C'est plutôt ce qu'elle symbolise, c’est-à-dire la mort du centre-ville de Dijon. Il incarne à lui seul tout ce qu'est devenue la rue de la Liberté, c'est-à-dire un immense couloir d'hôpital où une foule hagarde se déverse de façon continue dans un silence effrayant. Le mouvement est incessant, comme si chacun, inconsciemment, cherchait à quitter cette rue lugubre le plus vite possible. Il n'y a plus ni rires, ni causeries, ni rien. Plus personne n'est à l'arrêt, à part quelques clochards avachis, qui d'ailleurs meurent tous un par un, parce qu'ils ne supportent plus de vivre dans un pareil endroit. L’ancienne rue de la liberté était peut-être bruyante et encombrée, mais c’était une rue normale, pas un mouroir. Et c’est cet arbre blanc, par son absurdité, qui symbolise parfaitement cette décomposition. Il est tellement inepte, tellement bête, qu'il vide la vie de toute substance. On ne sait pas comment réagir devant un monument d'une connerie aussi triomphante. On est figé par la bêtise. Toute possibilité de spontanéité est abolie. La vie est mise à distance, ce qui rend ainsi toute attitude vraiment vivante totalement impossible. On dirait que l’arbre blanc fait de nous des légumes, il végétalise littéralement ses spectateurs. 


Dijon avait-elle vraiment besoin d’un tronc d’arbre blanc pour embellir ses rues ? A mon avis, on les embellirait davantage en l’abattant. Ô bucherons aux haches aiguisés, pourquoi retenir vos coups sur ce tronc trop tentant ? Qu’attendent les tronçonneuses pour tronçonner ? D’ailleurs pour vraiment embellir Dijon, il y aurait finalement plus de choses à détruire qu’à construire. Rien de plus facile. Confiez-moi quelques bâtons de dynamite et je rendrais à la ville toute sa splendeur ! C'est ce que les artistes corses ont très bien su faire, avec leurs merveilleuses performances pyrotechniques. En voilà de l'art contemporain ! Didier Marcel ferait bien d’en prendre de la graine.

Didier Marcel. C’est ainsi que se nomme le créateur de l’arbre blanc, qui a tout de même eu le courage de signer son forfait. Il y a une petite plaque, devant l’arbre blanc qui nous l’apprend, et qui nous en explique la signification. Didier Marcel devait sans doute penser que les gens n'étaient pas assez intelligents pour comprendre son travail, alors il a rédigé un petit texte qui permet aux abrutis de comprendre pourquoi ils trouvent cet arbre moche. S’il y a bien une réussite dans cet arbre blanc, c’est bien ce petit texte explicatif : un vrai chef d’œuvre de fumisterie. Au fond, c’est peut-être dans cet art que Didier Marcel est un véritable génie, dans l’art de se foutre de la gueule du monde. On y apprend que cet arbre blanc ressemblerait à « une colonne de l’architecture classique » (et alors ?), et qu’elle ferait « écho à une sculpture cinétique » (voilà qui rassurera les amateurs de sculptures cinétiques). Dans de ce genre de description, on parle toujours que de la signification de l'œuvre, mais jamais de son aspect plastique, parce que dans ce cas, on serait obligé d'en constater la nullité. D'ailleurs si une œuvre a besoin d'être expliquée, c'est qu'elle n'a aucun intérêt. Ce n'est pas en lisant une pancarte qu'on va subitement se mettre à trouver une croûte géniale. C'est l'œuvre elle-même qui doit constituer sa propre justification. On n'imagine pas Michel Ange poser une pancarte au pied de sa chapelle Sixtine. C'est quand on vend de la camelote qu'on a besoin d'un maximum de baratin.


Pourtant, si ce tronc blanc constitue une sculpture sans intérêt, il n'est pas totalement dénué de potentiel artistique, mais dans un tout autre domaine : celui de la performance. Avec un tout petit peu de bricolage, et un rien d'imagination, on pourrait mettre au point une formidable mise en scène. Voilà ce que je verrais. D'abord, il faudrait attacher solidement au sommet du tronc, une corde, à laquelle on suspendrait le performeur par les pieds. Didier Marcel serait idéal dans ce rôle. Il est normal que le concepteur de cette œuvre soit également son performeur. Ensuite, on brancherait l'arbre sur un puissant moteur, de type industriel, afin d'accélérer sa rotation. C'est là que la performance prendrait toute son ampleur. Au fur et à mesure que le tronc se mettrait à tourner comme une toupie, on verrait le génial artiste décoller petit à petit, et, avec la force centrifuge, tournoyer, tournoyer de plus en plus vite autour de son tronc blanc, jusqu'à former avec lui un angle de 180 degrés et qu'on ne distingue plus qu'un immense cercle qui formerait comme le feuillage qui manque à cet arbre. Puis, quand le tourbillonnement atteindrait son paroxysme, quand l'arbre se mettrait à gyrer d'environ trois cents tours par minute, on couperait subitement la corde. Alors on verrait le corps de Didier Marcel s'envoler majestueusement dans les airs, dans une sublime performance aérienne, pareil à « une comète traînant après elle sa queue flamboyante », on le verrait, dans le parcours de sa parabole, surmonter les grands magasins, passer au-dessus de la tour Philippe le Bon, survoler Notre Dame, avant de venir frapper le dôme de l’une des tours de la façade de l’église Saint-Michel. C'est sur sa superficie sphérique et convexe, qui ne ressemble à un grain de raisin que pour la forme, qu'on verrait, à toute heure du jour, Didier Marcel resté suspendu. Quant à ceux qui n’auraient pas eu la chance d’assister à cette œuvre d’art, on leur dira : « allez-y voir vous-même, si vous ne voulez pas me croire. » 



Article paru dans Sparse de décembre 2014.

4 commentaires:

Escargot von Kaninchen a dit…

C'est absurde comme idée ! A l'horizontale jamais son corps ne passerait au-dessus de la tour Philippe le Bon !
Il faudrait incliner l'axe de l'arbre pour réaliser une telle performance.

A vos services pour la balistique,
EvK

Charles le Téméraire a dit…

Judicieuse remarque. Cela semble physiquement plus cohérent. Il faudra songer à faire quelques expériences avant d'installer l'artiste sur son chef d’œuvre.

rem-melia a dit…

trooop trooooop :D
Par contre je te conseille l'excellent livre de Christine Sourgins : les mirages de l'Art Contemporain, (éd. La Table Ronde) afin de parfaire ton jargon littéraire, parce que, à moins que je ne me trompe, et si tel est le cas, alors efface ce commentaire (oh oui, modère moi) ; mais il me semble que tu sois tombé dans quelques écueils. Mais je peux te le prêter au besoin.

A bientôt.
ND.
+

Charles le Téméraire a dit…

Merci pour le conseil, mystérieux ND, je tâcherai de jeter un oeil, et attentif, sur cet ouvrage. Il est vrai que je ne suis pas un grand spécialiste de l'art contemporain dans son ensemble, et ne prétends pas l'être. J'observe simplement les productions qui ornent les rues dijonnaises.