mardi 30 avril 2013

Sens est-elle une ville bourguignonne ?

Il est une question que l'on soumet souvent au MLB, et qui est celle des frontières de la Bourgogne indépendante. A cela, j'avais pris coutume de répondre qu'elles seraient celles de l'actuelle Bourgogne et de la Franche-Comté, ce qui me parait être la solution la plus simple et la plus consensuelle. Mais en étudiant les choses de plus près, je m'aperçus qu'il existait, entre la France et la Bourgogne, un très vieux contentieux, semblable à celui de l'Alsace pour la France et l'Allemagne : le Senonais !

Situé dans les régions hyperboréennes de la Bourgogne, le pays senon ne se trouve qu'à quelques kilomètres de Paris, dont il subit avec le plus de force les fétides émanations de tiédeur et de cartésianisme. Historiquement déjà, la question senonaise a toujours été problématique. Sens ne fut en effet bourguignonne ni à l'époque des Burgondes, ni à celle des grands ducs de Bourgogne. Elle fut pourtant incorporée au royaume burgonde du bon roi Gontran ainsi qu'au premier duché de Richard 1er le justicier. C'est à la Révolution française que Sens fut définitivement rattaché à la Bourgogne, de sorte que la culture bourguignonne y a largement pénétré au cours des deux cents dernières années. Intrigué par cette épineuse question, je décidai de mener ma propre enquête et de me rendre en la ville de Sens,pour y noter, d'un côté, tout ce que j'y observerai de proprement bourguignon, et de l'autre, tout ce qui relèverai de la fade modération française.


A ma descente du train, je fus d'emblée charmé par l'aspect général de la ville de Sens. Ses petites rues sinueuses, joyeusement désordonnées, ses immeubles anciens aux façades à colombage et ses jardinets en friche, m'évoquaient parfaitement le charme de Dijon ou même d'Auxerre. Arrivé au centre ville, mon coeur bondit de joie quand mon regard se posa sur le toit si splendidement bourguignon de l'évêché. Puis c'est la façade de la cathédrale qui m'enchanta, par son Christ couronné au salut si jovial, et surtout par ses sculptures de vignes gorgées de raisin. C'est entièrement satisfait que je m'assis à la terrasse d'un restaurant pour y commander un jambon à la sauce chablis arrosé d'un petit vin de pays. Non vraiment, pensai-je, j'avais été bien bête de soupçonner un seul instant cette charmante ville de n'être pas bourguignonne et je n'y avais pas encore décelé le plus chétif caractère hexagonal, à ma grande satisfaction.

Ô chers toits de ma Bourgogne !

Alors que j'avais fini mon repas et que je me dirigeai vers le comptoir pour régler ma note, j'entendis deux ouvriers, qui y étaient accoudés, lancer à la patronne :
- Heh sers nous donc deux verres de Kir.
Je leur adressai un cordial clin d'oeil pour bien leur signifier à quel point j'approuvai la bourgognité de leurs moeurs. Mais quelle ne fut pas ma déconvenue quand j'entendis la serveuse leur rétorquer :
- Kir comment ? Kir mûre ou kir framboise ? (sic !!!!!)
Et les deux ouvriers de répondre d'une même voix (je jure que je n'invente rien !) :
- Kir mûre pardi !
Cette fois ce n'était plus un clin d'oeil que je leur adressai mais une grimace de violent dégoût, et quittai sans plus tarder ce triste bouge (il est vrai qu'il s'agissait officiellement d'une crêperie  mais cela ne justifie tout de même pas ces pratiques barbares !).
Je voulus aller oublier mon écoeurement en visitant l'intérieur de la cathédrale, mais c'est avec horreur que j'y appris que Sens avait été, pendant des siècles, l'évêché de Paris ! Je trouvais même à l'intérieur de ses murs le tombeau du Dauphin ! Je me sentis soudainement comme si j'avais ingurgité un plein tonneau d'eau baril. J'étais comme pris par de violents sentiments de modération.... Je me sentais en France !


                              L'arme du crime

Cette fois je n'y tenais plus, j'étais au bord de la syncope, mais je décidais néanmoins de laisser un dernier espoir à cette ville de me prouver son appartenance à la Bourgogne. Un peu de pluie qui se mit à tomber me fournit l'occasion idéale pour effectuer le plus efficace des tests de bourgognitude. Placé sur le parvis je m'adressai finement à deux passants.
- Sacristi ! leur dis-je, il pleut ! Et dire que je n'ai pas pensé à prendre de parapluie. Je vais être gaugé vous ne croyez pas ?
J'accompagnais ma parole d'un regard complice pour bien me faire entendre, mais les deux promeneurs se regardèrent entre eux avec un air médusé, comme si m'étais exprimé en langue papoue. J'insistai néanmoins :
- Oui, gaugé de chez gaugé. Tripé quoi ! Avec cette rabasse.... Non ? 
Les deux badauds désarçonnés  partirent en haussant les épaules. Pour bien leur signifier tout mon mépris et toute ma colère je leur adressai un violent bras d'honneur coiffé de deux cornes d'escargots.
Ah ces foutus Français !
Cette fois plus rien ne me retenait dans cette ville étrangère où l'on ne comprenait même pas ma propre langue ! Ah Sens ! Ah quel temps j'avais perdu dans cette ville épouvantablement voltairienne ! Ah qu'on ne parle plus de Sens ! Fini Sens ! Sens ? Interdit ! 

J'en étais là dans mes pensées, tandis que mes pas me guidaient avec hâte vers la gare, quand soudain une voix m’interpella. Je me retournai et je vis un splendide clodo, bien crasseux, magnifiquement aviné, qui portait une bouteille de gros rouge à la main. Il bredouilla quelques mots, parfaitement incompréhensibles avant de s'affaler sur le sol et d'y déposer une immense peau de renard.
Ah, génial ivrogne ! Mon coeur, comme foie, furent émus et pour un peu je l'aurais pris dans mes bras, mais son odeur fétide m'y fit renoncer.
Non décidément, pensai-je, une ville qui abrite d'aussi beaux spécimens de buveurs, en plein après-midi!, ne peut pas ne pas être un peu bourguignonne. 
Après tout, comme l'a très bien Maurice Chaume, la Bourgogne a un centre mais n'a pas de frontières. Si Sens ne fait décidément pas partie du centre de la Bourgogne, rien ne s'oppose à ce qu'elle soit néanmoins incluse dans ses frontières, telle fut la conclusion de mon voyage.

Et vous chers lecteurs, et je m'adresse plus particulièrement aux Senonais, pensez-vous que Sens soit une ville bourguigonne ? 

5 commentaires:

Victor a dit…

Oooh, toi tu es allé au Brocéliande, mh ?

Charles le Téméraire a dit…

Exact oui.
Toi aussi tu as été victime de leur agression au faux-kir ?

Anonyme a dit…

Et pour le territoire de Belfort ?
Louis XI

Guigone de Salins a dit…

Très intéressant. J'attends toujours plus d'articles sur les territoires bourguignons et également vers mes terres natales de l'Est!
Quelles devraient, selon-vous, être nos relations avec les Suisses par ailleurs?

Je trouve qu'en tant que bourguignons nous devrions en être reconnaissants à Sens de nous servir de rempart culturel face à la capitale. Il est normal que la pauvre ville, aux prises directes avec l'impérialisme culturel parisien, ait un peu souffert. Soyons bons ducs et accordons-leur notre magnanimité.
En revanche peut-être devrait-on compter sur eux pour assurer les futures relations diplomatiques entre la Bourgogne et les autres Régions de France, il faudrait qu'à l'avenir la ville serve de première vitrine aux parisiens.

Regardons les noms de ville à partir du Sud de Sens: "Malay le Petit", "Theil sur Vanne", "Rosoy", rien que de très bourguignon et agréable à mes oreilles; en revanche, quand on passe au nord, les sonorités deviennent françaises: "La Chapelle sur Oreuse", "Villethierry", "Saint Valérien" qui ont tout de même moins d'allure!

Merci

(Enfin Charles êtes-vous en mesure de retirer ces spams qui gênent ma lecture des commentaires?)

Charles le Téméraire a dit…

Bonjour chère Guigone,

croyez bien que je suis le premier désolé par cette invasion de publicités yankees. Et encore vous ne voyez que la pointe émergée de cet iceberg putride, chaque jour ce sont une dizaine de messages qui sont filteés, mais on dirait que certains sont plus pernicieux que d'autres. je vais tâcher de régler ça.

Mais je suis d'accord avec vous, le mieux est de tendre la main à nos compatriotes Senons.

Merci beaucoup pour vos messages amicaux.