lundi 21 septembre 2009

Alchimie bourguignonne

Il s'opère en Bourgogne, au moment même où j'écris ces lignes, et où vous les lisez, une opération alchimique de première importance dont tout notre avenirdépend. Un long procédé de transmutation de la matière est en train de se mettre en place, qui puise son énergie dans les forces telluriques mêmes de la Bourgogne, : j'ai nommé la vinification.
Le pays tout entier est en pleine agitation, nous sommes en septembre, c'est la saison bénie des vendanges ! Par milliers, des jeunes bourguignons vont venir dans nos vignes pour y briser leur colonne vertébrale au cours d'une récolte, harassante, mais conviviale. De cet échange éreintant avec notre sol sacré, il en résultera quelques sciatiques, quelques paraplégies, mais surtout des milliers de tonnes du meilleur raisin du monde, acheminés vers les clos les plus prestigieux, dont les noms résonnent dans le monde entier comme autant de synonymes du mot ivresse : Vosne Romanée, Pommard, Chambertin, . Là le raisin sera pressé, dans le plus grand respect de la tradition, par un écraseur-équeuteur, dont le cylindre perforé peut tourner de 600 à 1200 tours par minutes. Ensuite on séparera le jus de son écorce et des pépins, puis on le laissera fermenté, on le clarifiera, on le filtrera, on le centrifugera, on le réfrigérera, on le chauffera pour finalement le mettre en bouteille, procédés mystérieux, presque magiques, dont il résultera ce prodigieux breuvage à qui nous devons tout : la vinasse !

Hardi les gars ! Les poivrauds du monde entier comptent sur votre travail !

Oui c'est véritablement un procédé miraculeux, semblable à celui que Jésus opéra aux noces de Cana, que la transformation d'un banal fruit rouge en un nectar divinement éthylique, suavement alcoolisé et bourrant délicieusement la gueule. L'ivrogne n'en a que peu conscience, mais pour que son foie soit ainsi ravagé par la cirrhose, il aura fallu le travail de milliers de personnes, il aura fallu l'effort continu de tout un pays. Les vendanges sont comme un rite, une messe célébrée dans le temple que forme la Bourgogne toute entière en l'honneur du dieu Bacchus, qui nous récompensera par le miracle des grosses murgeasses !

Plus sacrée à nos yeux que Lourdes et Saint Jacques réunis : la terre de Vosne-Romanée !

Mais l'alchimie ne s'arrête pas là ! Elle se poursuit dans le corps même du buveur, qui, par le truchement de son foie, au cours d'une énigmatique opération chimique, transforme ce raisin devenu capiteux en une prodigieuse peau de renard qui viendra s'étaler sur les trottoirs de nos villes.

Puis l'opération se poursuit dans le domaine spirituel : le buveur devenu ivre verra son esprit se libérer de tous les poids que sont la conscience, la raison ou encore le sens le plus élémentaire des réalités. L'esprit devient alors bourguignon avant même que la Bourgogne soit indépendante ! C'est par cette opération alchimique que sont nés l'ode à Priape où les oeuvres complètes de Crébillon. C'est encore par le commerce du vin que Forneret et Denon ont pu financé leurs activités artistiques, et c'est ivre mort que Charles le Téméraire chargea à la bataille de Nancy (ce qui explique peut-être le désastre qui s'en suivit). Le véritable miracle bourguignon est là : elle puise dans la richesse du sol pour en tirer des oeuvres d'art. Elle opère la transfiguration de la chair (le raisin) en esprit : la Bourgogne est une terre eucharistique.

Chaque bourguignon doit en avoir conscience : le vin est divin, il fût sacralisé tout à la fois par Jésus, à qui il ne déplaisait pas de se coller de grosses minasses avec ses comparses, ces compagnons de beuverie qu'étaient les apôtres et par Bacchus. Du vin dépend l'économie, l'art, les moeurs, la culture, l'âme et toute la vie de la Bourgone. Et une terre qui porte le nom d'un vin est donc nécessairement sacré.

Aussi saluons le courage de tous ces vendangeurs, et pour que la Bourgogne vive éternellement, que ses vignes prospèrent, il n'est qu'un seul moyen, qui est de boire, de boire encore, de reboire et de se prendre sans cesse de colossales mouflées de derrière les fagots.



L'ivresse est le seul miracle qui se réalise systématiquement.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Magnifique ovation de Vosne-Romanée...